Discus Housing First

Adapter le Logement d’abord pour réduire le sans-abrisme à Amsterdam

De nombreuses villes en Europe sont confrontées à une hausse du sans-abrisme. Les personnes sans abri sont souvent victimes de violence, d’exploitation, de problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie, et de troubles psychiques, ce qui peut compliquer le maintien de leur location lorsqu’elles sont relogées. L’approche traditionnelle de la lutte contre le sans-abrisme consiste à lutter d’abord contre ces problèmes, avant de chercher un logement permanent.

Le Logement d’abord fait tout simplement l’inverse : il propose directement un logement sûr aux personnes sans abri. À Amsterdam, le projet Discus Housing First utilise cette approche pour créer un programme innovant et adaptable qui permet aux sans-abri de contrôler pleinement le processus, leur permettant de prendre les grandes décisions, comme le lieu du logement et le type d’accompagnement dont ils bénéficieront. Les usagers choisissent également un travailleur social afin de développer un programme d’accompagnement unique, mais volontaire, qui évolue en fonction de leurs besoins. Depuis avril 2006, Discus a logé plus de 600 personnes en intégrant cette approche sur mesure à son travail social.

Le programme Discus, d’une valeur de 10 millions d’euros (11,2 millions de dollars), est financé par la municipalité d’Amsterdam, qui a été tellement impressionnée par les résultats qu’elle a adopté le Logement d’abord comme politique officielle de la lutte contre le sans-abrisme en 2017. La méthode a également été mise en œuvre dans des dizaines d’autres villes néerlandaises et européennes, contribuant à transformer la façon dont le sans-abrisme est combattu aux Pays-Bas et au-delà.

Tineke est née en 1957 à Gouda et a grandi à Alphen aan de Rijn.

Je viens d’une famille catholique assez stricte et très conservatrice. Enfant, j’étais très timide. Je n’étais pas heureuse et je n’avais pas beaucoup d’amis. Ma mère ne m’a jamais montré de signe d’affection, ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’elle était déprimée. Pendant l’adolescence, je me suis rebellée, j’étais parfois dans l’extrême.

Je ratais toujours l’école et je ne savais jamais ce que je voulais faire de ma vie. Je ne pensais pas à mon futur, je me laissais portée par le vent. Même si je n’étais pas une très bonne élève, j’ai finalement abandonné mon aversion pour les études et je me suis inscrite à l’académie sociale d’Amsterdam.  J’y ai passé de bons moments. L’accent n’était pas placé sur l’apprentissage par cœur. Chacun avait sa propre méthode d’apprentissage. J’ai fait un chouette stage au centre communautaire. Mais je devais en même temps gérer des troubles psychiques, je passais de la joie à la tristesse en un rien de temps. J’avais également de nombreux problèmes à cause de mon trouble de l’attention.

J’ai ensuite réalisé que j’avais perdu mes amis, je suis devenue sans abri et je me sentais extrêmement seule.

Je me souviens du moment où j’ai reçu les clés de mon logement du projet de Logement d’abord de Discus. C’était un sentiment génial d’avoir mon propre logement, mais l’accompagnement est une des choses les plus importantes. J’ai reçu beaucoup d’attention, ce qui m’a énormément aidée.

À cause de problèmes avec les voisins, de nuisances et de visites de proches le soir, ainsi que de quelques disputes avec des amis, j’ai perdu le logement. Mais Discus a convaincu l’organisme de logement de m’offrir une deuxième chance.

Je vis maintenant dans un autre quartier et les employés de Discus sont toujours là pour m’accompagner. Le fait d’avoir mon propre logement me permet d’envisager de meilleures perspectives d’avenir.

J’ai peur de la solitude, et c’est le côté sombre de la vie, mais je suis rarement seule. Des amis m’aident et je reçois pas mal de visites. Mais c’est un côté que je n’aime pas chez moi, j’aimerais pouvoir faire davantage de choses seule. Je dois travailler mon autonomie car il vaut mieux être indépendante. J’ai vécu de nombreuses périodes de solitude, et je trouve ça tellement difficile que parfois je reste dans mon lit et j’évite tout contact. Je ne réponds pas au téléphone et ça peut aller très vite, c’est une véritable spirale destructrice.

Maintenant, heureusement, je me sens de mieux en mieux. Ca fait du bien de pouvoir dire ça maintenant.

Ce qui m’aide à lutter contre la solitude, ce sont les contacts avec les autres. À Discus, par exemple, ils organisent des réunions où vous pouvez discuter avec les autres bénéficiaires. Il est également important de sortir avec les autres. De telles sorties sont régulièrement organisées.

Ce qui ne fonctionne pas en revanche, c’est la coercition. Depuis l’enfance, j’ai développé une aversion de la coercition. On me disait toujours : va jouer aux cartes ! Mais pour cela vous devez aimer jouer aux cartes. Moi, je préférais les échecs. Mais il faut avoir le courage de rejoindre un groupe. C’est souvent une limite. J’ai beaucoup de mal à faire les choses seule, mais dans la pratique je ne suis que rarement complètement seule. J’ai des amis et des connaissances, et je l’estime assez sociale, si je puis dire. D’autre part, je m’efforce à être seule de temps en temps, afin de m’y habituer et de mieux le gérer.

Si vous venez de la rue, ou d’un centre d’hébergement, et que vous recevez un logement, vous vous retrouvez tout d’un coup seul sur votre canapé. C’est pourquoi il importe de placer l’accent sur la problématique de la solitude.  Ce ne sont pas juste des personnes sans abri, ce sont également des personnes seules. Parfois, vous buvez ou vous consommez plus de drogue lorsque vous êtes seul, parce que vous pensez que ça ne peut pas faire de mal à personne.

C’est aussi chouette de se balader dans le quartier avec quelqu’un de Discus, afin de pouvoir voir par exemple où se trouve le centre communautaire. Lorsque je suis avec quelqu’un, je me sens plus à l’aise.

Avoir son propre logement vous offre la paix nécessaire et la force de vous concentrer sur les choses les plus importantes.

Joyce était sans abri depuis plusieurs années avant de recevoir l’aide de Discus.

J’étais une fille heureuse quand j’étais petite. Après la naissance de mon fils, j’ai commencé à entendre des voix, ce que l’on appelle la psychose puerpérale. La plupart des femmes concernées entendent des voix négatives alors que j’entendais des voix positives : ma grand-mère, ma nièce et le frère de mon père, tous décédés. Mes voix voulaient m’aider.

Je n’avais jamais parlé à personne des abus, car je pensais que c’était le fruit de mon imagination et que ça ne pouvait pas être vrai. Cela a duré des années.

Après la naissance de mon fils, lorsque j’ai commencé à entendre les voix, de nombreuses choses se sont passées et j’avais en permanence des flashbacks. Je ne pouvais plus dormir à la maison et je suis allée avec mon fils vivre chez ma mère. Mais même chez elle, je le « voyais » debout dans les coins sombres.

Après six semaines, je ne savais plus dormir nulle part, pas chez ma mère, pas chez mes nièces, pas chez mes amis. J’ai alors décidé de vivre dans la rue car j’y avais moins peur.

Mais la vie dans la rue n’est pas facile. J’ai trouvé un petit coin où j’avais quelques caisses et une couverture. Mon petit coin n’était pas très éloigné de chez mes parents. Mais ma qualité de vie et mon sentiment de dignité ont vite décliné. J’entendais des souris, des rats ou des personnes qui promenaient leur chien. Mais j’étais invisible aux yeux de tous.

J’ai eu peur une seule fois. Il y avait beaucoup de brouillard et je ne voyais rien. Je me suis réveillée et je ne savais même pas où j’étais. Ma tête était constamment pleine, je parlais aux esprits. Je ne me comprenais pas, j’entendais toujours des voix et je prenais des médicaments, mais rien ne m’aidait. Ces voix horribles m’empêchaient de faire quoi que ce soit, le sentiment positif de ces voix que j’avais au début avait complètement disparu.

Je suis restée pendant quinze ans avec mes psychoses, allant d’une institution de santé mentale à une autre. A un moment, je prenais 50 pilules par jour, de toutes les couleurs, mauves, jaunes, vertes, roses, rouges, bleues. Toutes étaient des calmants.

Il y a 20 ans, le centre de santé mentale n’était pas très informé sur le sujet. Je souffrais et mon fils vivait avec mes parents. Je me sentais coupable mais je ne voyais pas de solution. Je me suis rendue dans quelques centres d’hébergement et j’ai dormi pendant un moment à l’Armée du Salut.

Pour finir, le médecin m’a donnée une nouvelle pilule expérimentale. C’était une toute petite pilule. Je n’ai pas eu d’effets secondaires et ça m’a beaucoup aidé !

J’ai ensuite reçu une chambre à un centre intitulé Vrijburg, un centre d’hébergement d’HVO-Querido. Je me souviens avoir appelé ma mère et lui avoir demandé de me ramener des vêtements. Elle est venue et m’a donné des vêtements de seconde main, j’étais tellement heureuse.

Un an plus tard en 2011, j’ai reçu un logement dans le cadre du projet de Logement d’abord Discus d’HVO-Querido, ma propre maison. Je m’y sentais à ma place et je sentais enfin que je faisais partie de la société. Après quelque temps, je me sentais vraiment bien et je n’avais plus vraiment besoin d’aide. J’ai décidé d’emménager dans un logement social où le nom sur le contrat serait enfin le mien.

J’étais tellement fière d’avoir une maison à mon propre nom.

Ma famille m’a offert tous les meubles et je vois régulièrement mon fils. Il vit toujours avec ma mère mais nous vivons près l’un de l’autre et la vie est plus facile maintenant. J’ai un partenaire et je prends toujours mes pilules. Je vois un psychologue une fois par trimestre et je pourrai bientôt passer à une fois par semestre.